Les étudiants en stage face à une première expérience du travail… et des risques professionnels : retour sur la Commande sociale 2024-2025 du parcours « Santé au travail » du Master RED
Dans le cadre du parcours « Santé au travail » du Master 2 de sociologie de l’Université de Rouen Normandie, le cours de « Commande sociale » propose aux étudiant.es de se confronter concrètement aux enjeux de la recherche appliquée dans le domaine de santé et de la prévention des risques professionnels. L’objectif est double : répondre à une demande sociale tout en approfondissant la maîtrise des outils d’enquêtes sociologiques. Pour l’année universitaire 2024-2025, le sujet retenu pour cette commande portait sur la santé au travail des étudiant.es en stage, et sur les prises permettant d’œuvrer à une meilleure prévention.
Une approche originale de la problématique du mal-être étudiant pour participer au débat sur le soi-disant rapport des jeunes au travail
Ce thème résonne fortement avec la problématique actuelle du mal-être étudiant, tout en l’abordant sous un angle original : celui des situations de travail vécues lors des stages. Souvent perçus comme une étape épanouissante vers l’insertion professionnelle, les stages constituent également une première confrontation aux risques professionnels. Cette première expérience peut marquer durablement le rapport des futur.e.s professionnel.le.s au travail et à la santé, rendant les stages de fin d’études ou de Master particulièrement pertinents à étudier.
L’enquête vise aussi à alimenter le débat sur le rapport des jeunes au travail. Contrairement à certaines idées reçues, la sociologie montre qu’il n’y a pas de rapport spécifique des jeunes au travail (Peugny, 2024), mais d’abord un rapport spécifique des jeunes à l’emploi (statut d’emplois, modes d’insertions, etc.) et peut-être une sensibilité accrue aux questions de santé au travail. Du point de vue pédagogique, ce projet met en lumière que l’envoi d’un étudiant en stage l’expose à des risques professionnels, nécessitant une réflexion et la mise en œuvre de politiques de prévention en lien avec l’université et les structures d’accueil.
Enfin, l’intérêt de cette commande est de placer les étudiant.es du M2 ST (Santé au travail) en situation d’échanger avec des étudiant.es ayant déjà réalisé un stage. Cela permettra par ailleurs aux étudiant.es de se projeter dans leurs futures missions de stages, mais aussi d’explorer des enjeux proprement sociologiques relatifs à la santé au travail. Il s’agit en effet ici de s’attaquer à la santé au travail par ses marges de ces « quasi-travailleurs » dont on peut se demander si les conventions sont aussi protectrices que des contrats de travail.
Ainsi, ces enjeux croisent un enjeu plus spécifiquement pédagogique : envoyer un étudiant en stage, c’est aussi l’exposer à des risques professionnels ce qui oblige à une réflexion et à la mise en œuvre d’une politique de prévention en lien avec le lieu d’accueil et les services de l’université.
Une enquête qualitative auprès d’une diversité d’acteurs
L’enquête a consisté en une campagne d’entretiens rétrospectifs avec, d’abord, des étudiant.es de Master de l’Université de Rouen ayant déjà réalisé un stage long. Cette approche qualitative, menée par les étudiant.es du M2 ST, permet de recueillir des récits détaillés sur les situations ayant potentiellement altéré leur santé et sur les actions de prévention mises en œuvre ou perçues. Au-delà des étudiant.es, l’enquête a également interrogé d’autres acteur.rice.s clés au sein de l’Université, tels que le Bureau d’aide à l’insertion professionnel (BAIP), les services de médecine préventive et les équipes pédagogiques des trois départements retenus dans l’échantillon étudié.
Cette année, les aspects méthodologiques de cette étude ont nourri la restitution qui a permis de revenir sur les méthodes d’enquête à proprement parler, mais aussi sur les opérations d’analyse. Sur le plan de l’enquête, les échanges ont permis de souligner l’idée selon laquelle la méthode qualitative ne vise pas une représentativité statistique, mais plutôt à expliquer les mécanismes à l’œuvre dans les relations entre les différents acteurs et les problématiques rencontrées. Une conséquence sur le plan de l’analyse sont alors que les thèmes ont d’ailleurs émergé de l’analyse thématique des retranscriptions d’entretiens, plutôt que d’être définis a priori. Cette approche permet de valoriser des cas dits « limites », souvent les plus à même de bénéficier d’un accompagnement, et de mettre en lumière des problématiques qui ne sont pas toujours spontanément exprimées par les étudiant.es.
4 résultats…
L’enquête a permis de dégager quatre thèmes centraux, souvent entrelacés :
- L’accompagnement des étudiant.es en Stage
- La recherche de stage est une période stressante et anxiogène, parfois rendue plus difficile par des propositions de lieux de stage éloignés, perçues comme un manque de prise en compte par les enseignant.e.s.
- Un manque général d’accompagnement est ressenti par les étudiant.es, bien que les enseignant.e.s l’expliquent parfois par une volonté de favoriser l’autonomie.
- Les interventions surviennent souvent tardivement, relevant de la prévention secondaire ou tertiaire (réduction des effets, réparation du préjudice), alors qu’une prévention primaire (agir sur les causes) serait préférable.
- La pression ressentie et ses conséquences
- La pression et la charge de travail sont souvent normalisées, tant par le corps enseignant (comme une étape inévitable de la professionnalisation en Master) que par les étudiant.es eux-mêmes (qui y voient un signe de compétence et de valorisation).
- Cette surcharge a des conséquences importantes sur le « bien-être » : difficultés émotionnelles, journées très longues, isolement social, impact sur l’alimentation et le sommeil.
- Les étudiant.es en formation continue ou en alternance, notamment ceux ayant des responsabilités familiales, subissent une pression accrue et peinent à concilier travail universitaire, stage et vie personnelle.
- Une contradiction apparaît entre les dispositifs d’accompagnement mis en place par les équipes pédagogiques (numéros d’urgence, réunions) et leur sous-utilisation perçue par les étudiant.es.
- La perception d’une (dis)continuité entre « théorie » et « pratique »
- La cohérence entre les enseignements théoriques et les missions de stage est cruciale pour la professionnalisation et le bien-être.
- Un sentiment de décalage ou de manque théorique peut générer de l’anxiété et une déstabilisation, obligeant les stagiaires à “apprendre sur le tas”.
- L’enquête a montré l’importance de la dynamique relationnelle avec les tuteur.rice.s de stage et le rôle des collègues (mentorat informel) pour pallier ces lacunes.
- Les conditions de vie en stage plus forte que la « qualité de vie au travail »
- Une précarité financière est souvent aggravée par les stages, notamment par les coûts de transport importants et l’absence de gratification si la durée légale n’est pas atteinte, affectant également l’alimentation.
- Des difficultés sont rencontrées concernant les missions de stage, avec des étudiant.es parfois sollicité.e.s pour palier le manque de personnel, ce qui limite leur apprentissage et leur formation.
… et 4 recommandations pour une meilleure prévention
Les étudiant.es du M2 ST ont formulé des préconisations concrètes pour chaque thème, visant à allier pertinence scientifique et utilité sociale :
- Pour l’accompagnement : Mettre en place un suivi plus approfondi des stages (avant, pendant, après), proposer des temps d’échange en groupe, adapter les offres de stage aux besoins et profils des étudiant.es.
- Pour la pression ressentie : Reconnaître et adapter les attentes universitaires à la charge de travail et au statut des étudiant.es, clarifier les processus de rendus universitaires dès la rentrée, améliorer la communication entre tuteur.rice.s et responsables pédagogiques pendant le stage, sensibiliser aux impacts d’une charge excessive sur la santé via des ateliers d’échange.
- Pour la discontinuité théorie-pratique : Intégrer des cas pratiques liés au milieu professionnel dans les cours via des interventions de professionnel.le.s, et organiser du tutorat pédagogique par d’ancien.ne.s étudiant.es diplômé.e.s.
- Pour les conditions de vie : Mieux informer les étudiant.es sur les aides financières existantes et élargir les critères d’éligibilité, renforcer le « système de blacklist » pour les structures ne respectant pas les conditions de stage, et développer des politiques pour valider la formation même en cas de situations difficiles.
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Ce travail a mis en évidence l’importance d’une approche systémique pour comprendre la santé au travail des stagiaires. Au-delà du triangle classique étudiant-tuteur-enseignant (Glaymann, 2015, l’enquête a révélé l’influence d’acteurs secondaires tels que les ami.es, la famille, la médecine préventive, et le BAIP, enrichissant la compréhension du système de soutien, de ses potentialités comme de ses angles morts. Les étudiant.es en formation continue, malgré les défis de conciliation vie pro/perso/études, apportent également une richesse d’expérience et favorisent l’entraide au sein des promotions. Cette idée de repeupler le système des stages, au-delà de la seule relation entre le ou la stagiaire et son organisme d’accueil fournit ainsi un ensemble de prises et de leviers pour appréhender la question de la prévention des risques professionnels auxquels les stagiaires sont confrontés dans ces premières expériences professionnelles.
Pour les étudiant.es du M2 « santé au travail », ce projet a été une préparation concrète à leurs futurs stages. Il leur a permis de prendre conscience des problèmes potentiels et des services d’accompagnement existants, les rendant plus « à l’affût », réflexifs et mieux préparé.e.s. Ce double travail de traduction, de la commande sociale à la question de recherche, puis des résultats sociologiques aux réponses utiles pour le commanditaire, est au cœur de cet enseignement.
Nous remercions chaleureusement les commanditaires et tous les participant.e.s à cette étude pour leur précieuse collaboration, qui a permis de produire un travail qualitatif, riche et éclairant sur une série d’enjeux au carrefour de l’expérience étudiante, des dispositifs universitaires et des mondes professionnels.
Romain Juston Morival, Priscille Bolemba Fatuma, Hanna Bougheila, Lauréna Eloy, Ouleye Kane, Inès Leblanc, Kaissie Lepiller, Gloria Marais et Maya Tuernal
En 2025-2026, le commanditaire reste le BAIP qui s’interroge justement sur la manière dont le travail fait sens pour les étudiant.es et les diplômé.es qu’il accompagne. Ce questionnement croise les enjeux sociaux et sociologiques explorés cette année (sur le soi-disant rapport spécifique des jeunes au travail tel qu’on peut l’aborder depuis les problèmes relatifs à la santé au travail), mais en les ancrant dans un souci actuel du BAIP lié à une projet ancien, celui de la mise en pratique d’un projet d’œuvrer à l’insertion professionnelle des étudiants via des TD dédiés, mais sans pilotage très clair à ce stade, ce qui a impliqué que le BAIP a « cousu main » des formations de ce type-là. L’enjeu actuel pour le BAIP est alors d’identifier des solutions pour répondre notamment aux attentes des étudiants en la matière. Il s’agira au fond d’interroger le « sens du travail », à partir de la façon dont les stages en particulier font sens pour les étudiant.e.s.
Références citées :
- Glaymann, D. (2015). Quels effets de l’inflation des stages dans l’enseignement supérieur? Formation Emploi, 129(1), 5–22.
- Peugny, C. (2023). Les jeunes sont-ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? Dans B. Palier (dir.), Que sait-on du travail? (p. 440–451). Presses de Sciences Po.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Romain Juston Morival (5 septembre 2025). Les étudiants en stage face à une première expérience du travail… et des risques professionnels : retour sur la Commande sociale 2024-2025 du parcours « Santé au travail » du Master RED. Dynamiques sociales contemporaines. Consulté le 13 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14llq







